Petit mot de bienvenue...


"Aujourd'hui bien lassé par l'heure qui s'enroule
tournant comme un bourrin tout autour du cadran
permettez mille excuz à ce crâne - une boule -
de susurrer plaintif la chanson du néant"

Raymond Queneau ( extrait de "L'instant fatal")

REVEIL

12 janvier 1971

Un frisson qui passe et t’enlève
à ce rêve d’enfant perdu
au milieu des lépreux lassés
de l’agonie jour après jour.

Tu rêvais d’espaces aériens
où tes bras s’étendaient sans fin,
où tes mains broyaient l’avenir,
où tes doigts saisissaient le temps.

Tu évoluais dans la folie,
tes yeux mordants heurtaient le ciel,
tes bras se vrillaient aux tempêtes,
ton front se fendait de vouloir.

Maintenant le songe est passé,
tu surprends le plaisir promis
sur le visage de la femme
avec qui tu parles, sans vie.

FRISSON

04 janvier 1971

Quand ses mains caressent ta peau,
ses doigts tremblants se réchauffent
à ton contact.

Dans son univers léprosé,
quand son âme usée reprend la mesure
de ton plaisir,
son corps desséché et fripé
agonise sur le chemin
de ton plaisir.

Quand tes mains caressent sa peau
tes doigts tremblants se réchauffent
à son contact.

Il croque le fruit interdit,
son corps retient son souffle
jusqu’au frisson.

L’univers glacé, explosé
de semences, terre irriguée
de ton plaisir,
un déchirement bestial,
une peur tendue par le râle
de ton plaisir.

Tu croques le fruit interdit,
et ton corps retient son souffle
jusqu’au frisson.

VISION

29 décembre 1970

Bercé par l’anarchie de ses sens
Bercé par la douceur de ta voix
Lorsque tes mains voyagent sur sa peau
Ma mie, il ne peut que t’aimer.

Enlevé par l’accent de tes yeux
Enlevé par les caresses de tes doigts
Lorsque ton front passe sous sa tête
Ma mie, il ne peut que t’aimer.

Envouté par l’harmonie de ton corps
Envouté par la trace de tes seins
Qui dessinent des cœurs sur sa peau
Ma mie, il ne peut que t’aimer.

Par votre amour, renversez les jours
Ma mie, que les habitudes s’arrêtent
Que le temps retourne au premier instant
Que vos yeux et vos lèvres remodèlent
Le monde comme ensemble vous le rêvez.
Laisse ses lèvres sur ta cuisse et ton ventre
Et que de ses baisers surgisse le néant
Qui guide le monde depuis des siècles
Vers l’abime sordide des croyances divines.

LE SOIR

25 novembre 1970

Le soir, la mort le guette,
conviée à l’euphorique fête.
Elle traverse l’espace silencieux
vers l’ultime contact physique.

Le soir, il meurt.

Le soir, ses yeux se ferment,
pour le grand risque matinal:
une mécanique rouillée
qui ne veut plus marcher.

Le soir, il meurt.

Le soir son âme agonise:
le brouillard s’épaissit
son corps aveugle s’y pend.

Le soir, il meurt.

Le soir entre deux visions
du néant qui l’attend,
il rêve au départ,
pour seul testament
des images de femmes.

DANS SA NUIT

29 avril 1970

Il y aura un jour
un instant de bonheur
sublime moment a
pogée de ses plaisirs;
il effacera les malheurs
que son pauvre esprit a
sublimé en vingt ans
d’une vie de bohème
avec dieux et diables.

Dans sa nuit, il rêve
d’une petite chienne
qui porterait ton nom.
Ah, qui enlèvera
ses maux de têtes
tous prénoms de femmes.

Non, il ne veut pas,
il ne veut plus la nuit
se souvenir de celles
par qui il était chéri.

Non, il ne veut pas,
il ne veut plus savoir
qu’il a ouvert pour elles
les chemins de l’amour
et du dévorant plaisir.

TENDRESSE

23 février 1970

Pour un peu de tendresse
Il lui inventait des cieux
Où le soleil rayonnait de joie
Il lui offrait un royaume
Où il était le fou du roi

Que manque-t-il à son cœur
Oh lui, pauvre poète
Il n’a rien à chercher
Qu’un peu de tendresse

Pour trop de tendresse
Elle lui invente un mal
Qui se trouve dedans son âme
Mais il sait que son cœur
A besoin de beaucoup d’amour

Qu’a-t-il dans la main
Oh lui, pauvre poète
Il n’a rien à donner
Que trop de tendresse

Aujourd’hui son cœur
N’a plus envie d’aimer
Il est mort hier
Sans un baiser

LUEUR

19 novembre 1969

Une lueur blanche, agaçante,
jaillie du néant de leur âme.

Une lueur blanche, cinglante,
pénétrée au sein de leur corps.

Cette étrange brulure
que leurs yeux imaginent.

Amers souvenirs
de larmes repenties.

Le sang, le sang qui coule
hors du corps, hors du temps.

Douleur qui les sépare,
douleur qui les unit.

Le sang, le sang qui coule,
qui souille le drap blanc.

Contractions refusées,
des regrets éternels.

Elle le voit, il la sent,
sèche comme l’été,
froide comme l’hiver.

Elle veut malgré tout
faire couler la sève
d’un bois imaginaire.

SONGES

09 septembre 1969

Dans ses songes,
c’est ton front
contre sa tête enserrée
dans l’étau de tes idées.

Dans ses songes,
c’est ton front
comme un éprouvant labeur
intellectuel, infernal,
bousculé
d’hyperboles,
mécanique, métallique.

Dans ses songes,
c’est la courbe
de tes seins,
toute imprimée sur son corps,
en couleur et en relief,
comme un spot
aguichant.

Dans ses songes,
chétifs, sous développés,
tous les instants de sommeil,
poings serrés,
douloureux.

Dans ses songes,
cette union,
un ou deux, il ne sait plus,
enfants petits sans sourires,
métalliques,
nerfs d’acier,
yeux chromés,
dans la nuit.

C’EST TOUT

23 mai 1969



Les pôles d’un corps
à demi-mort d’espoir,
l’attraction d’un cœur
à demi-nu d’amour,
c’est tout ce que l’homme
peut offrir à la femme.

Les os d’une main
qui tremble désespérée,
le cadavre d’un cœur
à demi sec de haine,
c’est tout ce que l’homme
peut offrir à la femme.

L’âpreté d’une langue
à demi-morte de mots,
la réaction d’un esprit
à demi-nu de pensée,
c’est tout ce que l’homme
peut offrir à la femme.

Les muscles d’un corps
qui tremblent d’amour,
les restes d’une peau
à demi-sèche de jouissance,
c’est tout ce que l’homme
peut offrir à la femme.